Antisémitisme, antijudaïsme, antiisraëlisme (Edgar Morin)

L’antisémitisme, haine de la race juive, a remplacé l’antijudaïsme chrétien qui condamnait un peuple coupable de déicide. Mais l’anti-sionisme et l’anti-israëlisme signifient encore tout autre chose. Edgar Morin nous éclaire à ce sujet dans cet article :antisémitisme, antijudaïsme, anti-israëlisme.

Le refus de la différence

Jorge Livraga

Fondateur de Nouvelle Acropole

Article paru dans la revue Nouvelle Acropole (Belgique), n° 17, mai 1983, pp. 17-21.

A l’heure où les biologistes s’interrogent sur la notion même de race, le thème qui soulève toujours les passions et déclenche toutes sortes d’affrontements, c’est bien celui du racisme. En tant que Philosophes aimant la Vérité, nous souhaiterions envisager ce sujet à la lumière de la pensée traditionnelle. En confrontant ces points de vue aux conceptions actuelles sur l’homme, nous trouverons peut-être une certaine clarté. Et surtout, en apprenant à connaître et accepter la diversité des cultures, nous saurons nous rapprocher d’une meilleure compréhension de ce qu’est l’humanité dans son ensemble.

Il ne faut pas oublier qu’au-delà des préjugés et des opinions, il existe des lois inexorables de la Nature qui accomplissent leur cycle indépendamment de notre volonté. Ainsi, quand un aigle s’envole, serrant entre ses griffes un lapin qu’il laisse tomber depuis des centaines de mètres de hauteur, le lapin tombe, entraîné par la loi de la gravitation, et meurt sur le coup, même s’il ignore la loi qui l’a fait tomber.

Qu’il existe des différences entre les hommes, tant sur le plan individuel que sur le plan ethnique, sur le plan social que sur celui de la création de cultures, c’est un fait indéniable.

D’autre part, l’homme est un être historique. Il évolue dans le temps, cumulant les expériences positives et négatives. Il « baigne » intérieurement et extérieurement dans des phénomènes qui conditionnent d’une manière changeante la compréhension de la réalité. C’est ainsi que des valeurs considérées comme bonnes à certains moments, perdent leur signification à un autre moment historique. Il n’est donc pas étonnant que le phénomène des races et sa compréhension soient également sujets à des changements d’optique et que, dans des cas extrêmes, on puisse parler de racisme. Il surgit quand une ethnie n’est plus capable d’intégrer la différence et développe une mentalité dualiste et manichéiste où celui qui lui ressemble devient le bien et ce qui en diffère est associé au mal.

Mais essayons rapidement de présenter les deux grands points de vue : celui de la science positiviste et celui de la pensée traditionnelle. La différence fondamentale réside dans le fait que pour la première, l’origine et l’évolution de l’homme dépendent d’un ensemble « d’heureuses coïncidences », alors que pour la deuxième, il s’agit d’une racine spirituelle intelligente qui inclut l’évolution de l’homme dans un plan cohérent de la Nature.

Qu’est-ce qu’une race ?

Le terme de race est éminemment équivoque …

Le terme de race (du latin ratio : ordre chronologique), apparaît au XVe siècle dans la langue française. Il désigne d’abord « un ensemble de traits biologiques et psychologiques qui relient ascendants et descendants dans une même lignée. Terme d’élevage, il n’est appliqué à l’homme qu’à partir du XVIIe siècle.

La doctrine du racisme apparaît au XVIIe siècle avec la colonisation qu’elle justifie. Elle représente dès lors une prévention de premier ordre à tout sentiment de culpabilité : c’est ainsi que la mission civilisatrice du colonisateur espagnol s’oppose à « l’infériorité naturelle », voire « à la perversité » des Indiens d’Amérique.

Au XVIIe siècle, la traite des noirs se réclamera de ces arguments biologiques, et c’est au XIXe siècle que GOBINEAU (1816-1882), s’appuyant notamment sur les travaux de LINNE (1707-1778) et BUFFON (1707-1788) va poser les bases d’un racisme scientifique fondé sur l’anatomie comparée des cerveaux et va s’attacher à démontrer la « supériorité » de l’esprit de l’Européen sur celle des autres races.

A la fin du XIXe siècle, RENAN et l’anthropologue BROCA se feront les interprètes d’un consensus au niveau de l’Europe « pensante » : il y aurait sur la planète deux sortes d’êtres bien distincts : ceux qui appartiennent aux races « supérieures » et ceux qui appartiennent aux races « inférieures ».

Ces affirmations « scientifiques » eurent à long terme un énorme retentissement ; elles donnèrent libre cours, malgré elles, à des développements violents, inattendus, bien que logiques : génocides, camps de concentration, déportations de populations entières, pogroms, pour aboutir à la fin du XIXe siècle et au début du XXe à la théorie de l’Eugénisme. Au début du XXe siècle, un groupe de savants anglo-saxons ne s’est-il pas réuni pour envisager ensemble « les moyens de lutte contre la prolifération des autres races qui pourraient mettre en danger la race blanche » ?

L’Apartheid, en Afrique du Sud, est l’application concrète de ce genre de recherche.

Il apparaît ainsi que le racisme est en premier lieu, un moyen de s’identifier au détriment des autres. Cette identification se fait d’ailleurs à l’intérieur d’un même peuple. Ainsi, parle-t-on par exemple d’un « fiancé de bonne race », entendant par là qu’il y a les « gens bien » … et les autres.

Il existe autant de chemins que de pèlerins, et le sentier qui conduit la taupe à la perfection serpente au ras du sol, alors que celui de l’aigle passe au sommet des montagnes.

J.A. LIVRAGA

Le développement du matérialisme

Le développement du matérialisme au XVIIe siècle a contribué à placer la morphologie au-dessus de toute valeur spirituelle qui donnait en quelque sorte une unité à l’humanité : la considérant tout entière comme fille de Dieu, tous ses composants devenaient par conséquent des frères. Il est bien connu que cette conviction n’a pas empêché affrontements et massacres. Dieu étant Un, chaque groupe humain lui donna des noms différents et se considéra plus ou moins comme « le peuple élu ». Cette croyance engendra une morale de prééminence sur les autres hommes, et « au nom de Dieu » furent commises des aberrations que réprouve tout esprit sensible.

L’invention d’une race sans dieu …

Lorsqu’on atteint cet état de choses, le mythe se fige et ne véhicule plus son essence. La morale devient question de partis et les sociétés oublient l’unicité transcendante de l’espèce humaine. Le matérialisme morphologique s’appuya sur ce déclin. Les conditions devinrent scientifiquement irréversibles. Quand le naturaliste suédois Karl von Linneo (1707-1778) lança une taxonomie botanique « naturelle » et que le scientifique anglais polyvalent Charles Robert Darwin (1809-1882) projeta sa théorie de la « sélection naturelle » et de « l’évolution », ils avaient ouvert sans le savoir la boîte de Pandore. Ni eux, ni le très controversé Malthus n’eurent l’intention de faire du mal, bien au contraire, ils pensaient rendre service à l’humanité en lui révélant ce qui leur semblait être les caractéristiques et le moteur évidents de l’existence. Mais les facultés intellectuelles, morales et religieuses n’étaient pour eux – et en particulier pour Darwin – que des caractéristiques sociologiques complexes, produites par une mécanique organique qui ne les conservait que grâce à leur utilité pratique. Ce qui n’était au départ qu’une théorie devint rapidement un dogme. L’homme ainsi inclus dans les mammifères supérieurs, devint une sorte de roi des animaux, produit évolutif d’un animal que les adeptes de cette croyance ont identifié à une espèce de singe.

Dans la terminologie de l’époque, on parle de « royaumes », « d’espèces » et de « genres ». L’homme n’est plus le fils de Dieu et du Mystère … Il serait le simple descendant d’un animal que les circonstances adverses, correctement assimilées, auraient fait évoluer en favorisant le développement de facultés particulières. Ces facultés octroyant une « capacité », il y aurait donc des groupes d’hommes plus valables ou « évolués » et d’autres, moins valables et moins évolués. L’idée de « race » sans Dieu était née. La robotisation des concepts venait de démarrer et la vieille morphologie dériva en des subtilités conventionnelles.

Les hommes ont été différenciés en trois grands groupes :

  • les Européïtes (race blanche, en particulier européenne),
  • les Mongoloïdes (race jaune, en particulier les Asiatiques),
  • les Négroïdes (race noire, en particulier les Africains).

Cette classification simpliste montrant bientôt ses lacunes, on la compléta en y ajoutant une race rouge pour désigner l’homme américain. Beaucoup d’hommes étant restés hors de cette classification, on les classa donc plus ou moins artificiellement comme « marginaux des grands groupes ». L’ethnologie la plus moderne proposa d’autres caractéristiques. Bien qu’elles ne soient pas directement morphologiques, ces caractéristiques y demeuraient apparentées.

… La vision des races issues de dieu …

Ces découvertes qui ont révolutionné non seulement la connaissance mais aussi la coexistence humaine, n’étaient cependant pas nouvelles. Depuis les temps anciens, le Livre de Dzian, pour citer un exemple, affirmait l’existence de races humaines. Dès leur mystérieuse apparition sur terre, celles-ci avaient été douées par les Dieux de lumières différentes selon les karmas accumulés dans des formes évolutives précédentes. Ces formes pouvaient être apparentées à nos concepts de minéral, végétal et animal auxquels il faut ajouter celui de concrétisation psychique qui avait précédé la corporisation des hommes. Selon ces traditions, il aurait existé sur terre de grands groupes civilisateurs, ou du moins culturels, sur lesquels agissait la sélection naturelle fondée, non seulement sur des caractéristiques physiques ou mécaniques, mais aussi sur un ordre mental et psychologique. Ces civilisations auraient occupé divers continents aujourd’hui disparus pour la plupart.

Des êtres plus évolués ne seraient rien d’autre que les « Frères Aînés » des autres, et toute l’humanité, selon ce curieux et ancien texte, serait en marche vers son perfectionnement. Une telle conception ne laisse aucune place pour la haine, tout comme dans une famille normale où il n’existe pas de haine entre le frère aîné et les cadets ; il faut respecter les caractéristiques de chacun et en tenir compte, en fonction de son âge, ce qui, dans le cas d’une démarche évolutive, équivaut à la « Conscience ».

Si nous traduisons la terminologie archaïque des anciens textes, nous pourrions nous apercevoir que c’est selon leur « évolution » en « vieillesse spirituelle » que les Ames passaient d’une expérience culturelle plus ancienne à une autre, afin de continuer leur cycle. Ainsi, les « races » étaient-elles simplement des échelons pour l’Ame. Dans le même état naturel, un blanc et un noir sont aussi bons l’un que l’autre. Les Ames n’étaient ni blanches ni noires. Face aux yeux de Dieu, elles se valaient toutes et la différence existentielle dérivait simplement du besoin d’expériences de chaque conscience face à la réalité et à la connaissance de soi.

Malheureusement, de nos jours, ces concepts ne sont pas perçus, et on identifie, sur la base d’une série de préjugés, le contenant avec le contenu puisque l’Ame n’a plus d’importance et qu’elle n’entre pas dans les théories évolutionnistes.

Les « classes » entre les hommes n’existent pas. Elles ont été inventées en guise de tremplin pour sauter sur la tête des désespérés. Les situations anormales et injustes dans lesquelles l’homme exploite l’homme existent sans nul doute, mais seule la verticalisation de tous permettra à une morale saine de balayer l’égoïsme.

J.A. Livraga

Qu’est-ce que le racisme ?

Nous pourrions définir le racisme comme étant une déformation conceptuelle et existentielle, comme un vice issu de l’incapacité d’assimiler correctement la connaissance des races.

Le fait que les hommes soient inégaux morphologiquement et même psychiquement, naturellement, ne justifie aucune forme de discrimination au nom d’une prétendue sélection naturelle inventée par des cerveaux fossiles.

Si cela n’était pas tragique, ce serait comique de voir comment se haïssent et s’entretuent musulmans et juifs sur les hauteurs du Golan, en dépit d’une appartenance ethnique identique, différenciée simplement par un nom inventé et une religion qui n’est qu’une adaptation géo- historique d’une même réalité : la croyance en un unique et même Dieu. S’ils se battaient uniquement pour le sol qu’ils foulent, cela pourrait se comprendre, car il est indispensable à leur survie. Ces deux peuples sont les victimes des manœuvres politiques employées par les Alliés de la seconde guerre mondiale pour obtenir des appuis dans la zone. Mais le plus grave c’est la haine ancestrale et atavique. Si le problème de terres n’existait pas, ne se battraient-ils pas de la même façon ?

Contrairement aux prétentions de la propagande quotidienne, le racisme n’est pas l’apanage exclusif de tel ou tel peuple, de tel ou tel moment historique, mais l’expression de l’ignorance et du fanatisme humains. Nous qui avons beaucoup voyagé, nous savons que des « blancs » méprisent des « noirs » et vice-versa. Evidemment, il existe toujours des gens raisonnables qui ne méprisent personne, mais malheureusement, ils constituent une minorité qui n’a pas toujours accès au pouvoir.

Le fait qu’un peuple comme le peuple juif, qui a tellement souffert à cause du racisme, interdise dans l’état d’Israël la musique de Wagner, sous prétexte qu’il s’agit d’une musique nazie, alors que son auteur a vécu au XIXe siècle, n’est-ce pas une manière de développer un certain racisme à rebours ?

A propos des juifs, il faut préciser qu’il existe une différence entre les Sépharades, originaires d’Afrique, et les Ashkénazes, d’origine européenne, c’est-à-dire des convertis provenant d’autres groupes ethniques. Les deux branches sont répandues dans le monde et ne constituent pas une « race », car il se trouve parmi eux aussi bien des Européens, blancs aux yeux bleus et aux cheveux blonds, que des Africains aux cheveux crépus et aux yeux foncés, sans oublier tous les métissages d’Amérique et d’Afrique où noirs, jaunes, blancs et rouges ont coexisté pendant des siècles et laissé des descendances multicolores.

Le caractère trop exclusif de leur religion et un attachement trop fort au clan par rapport à d’autres groupes sociaux, ont parfois contribué à accentuer leur marginalisation.

Ceci n’est pas l’exclusivité du peuple juif (dont nous parlons à titre d’exemple), mais existe aussi à différents degrés, dans les conflits entre chrétiens catholiques, protestants, orthodoxes ; entre musulmans, bouddhistes, communistes, entre les survivants des réserves indiennes des USA, et même entre les Basques et les Espagnols, ou les Bretons et les Français.

Nous avons volontairement cité des groupes unis, soit par la croyance, soit par la langue, soit par la couleur de la peau. En vérité, ils sont tous unis par une erreur commune : celle qui consiste à se croire meilleurs que les autres et « choisis » par la Nature ou par Dieu.

Toute forme de séparatisme entre les êtres humains est une forme de racisme, dans la mesure où elle ne se contente pas de constater des différences évidentes, mais où elle les utilise comme justification de toute forme d’agression. Le « racisme » n’est pas seulement physique, il est aussi psychologique, économique, social, politique, etc.

Au point de vue philosophique, toute forme exacerbée de racisme est méprisable et injustifiée. Le fait qu’il existe des races et différents modes de pensée et de croyances ne justifie nullement cette attitude. Ceux qui l’ont pratiqué, que ce soient les nazis ou les communistes, les juifs ou les chrétiens, les blancs ou les noirs, ont toujours été victimes, à plus ou moins long terme, de leurs maladresses. Ils y ont gagné la condamnation universelle des hommes libres. Et certains mécanismes de la Nature qu’ils ignorent, les ont châtiés ou les châtient encore durement.

C’est le cas de notre exemple du lapin qui s’écrase sur le sol. Le fait qu’il ignore la loi qui le fait chuter ne le sauve pas des conséquences. Et ce n’est pas parce que le racisme plonge ses racines dans l’ignorance, qu’il est délivré de la répression naturelle de ses actions.

Tout racisme est une maladie qui finit par tuer celui qui la porte. Le destin de l’humanité est la confraternisation au-delà de toute différence morphologique, psychologique ou spirituelle.

Prof. J.A. LIVRAGAPour d’autres articles, cliquez sur le titre de votre choix ci-dessous:

Le nouvel esprit anthropologique et la lutte contre le racisme par Fernand Schwarz & Fernand Figares

Le Racisme à venir par Jorge Livraga

Le Racisme, produit de la modernité par Fernand Schwarz

 

Exposés donnés lors du colloque 2007 « La philo contre le racisme »:

Le racisme à venir

Jorge Livraga

Fondateur de Nouvelle Acropole

En octobre 1989, Jorge Livraga donnait à Paris une conférence intitulée « Le racisme à venir ». Nous vous en proposons ci-dessousune synthèse. Les propos de l’auteur, hélas confirmés a posteriori par ce qui sest passé en Yougoslavie et ailleurs, sont plus actuels que jamais.

Comme s’est effondré l’Empire romain que l’on croyait éternel, s’effondrent nos systèmes ; comme ils ont alors resurgi, les ethnies et les particularismes de tout poil font surface à nouveau avec les égocentrismes qu’ils véhiculent. Car l’histoire est cyclique. Et la menace de l’intolérance, du fanatisme et de multiples « racismes » grandit, favorisée par la croyance que les hommes sont semblables – alors qu’ils sont à l’évidence différents – et par le besoin de boucs émissaires.

Laissons à chaque peuple, y compris aux occidentaux, le droit de suivre et de préserver les coutumes qui lui sont propres. Dépassons la peur et la vision superficielle qui fondent le racisme. Car il n’a pas sa place là où se trouve la véritable liberté, celle de se déterminer soi-même, indépendamment de la couleur de sa peau, de l’endroit où on est né et des croyances dans lesquelles on a été élevé.

L’histoire est cyclique

Celui qui écrit ces lignes a consacré une grande partie de sa vie déjà longue à l’étude des phénomènes historiques et a constaté qu’ils se répartissent en deux types. Les uns sont répétitifs et apparaissent et réapparaissent à diverses époques sans grand changement ; les autres sont, eux, changeants, et jamais ne se répètent car ils répondent aux exigences des temps. Cependant, à chaque moment historique, un pendule qui régit les événements se met en mouvement. Sa partie fixe comme sa partie mobile constituent une machine merveilleuse qui ne cesse et ne cessera jamais de marquer le rythme de la mécanique historique, les battements d’un cœur qui vit, s’accélère et ralentit, souffre parfois de tachycardie. Cœur qui un jour est né et finira par mourir.

Le monde et son histoire sont tels alors que les néo-platoniciens de Pergame et d’Alexandrie les concevaient, il y a presque deux mille ans : un « macrobios », un grand être vivant dans lequel nous sommes insérés et dont nous formons le tissu existentiel, avec une vie propre pour chacun de nous, comme pour les différentes cultures et les différentes sociétés ; mais tout cela conditionné par le Grand Rythme, le Mystère, l’Etre des Etres.

Nos digressions intellectuelles ne peuvent rien contre ce rythme universel. C’est ainsi et la seule chose que nous puissions faire, c’est de le percevoir ou pas.

Ceux qui ne le perçoivent pas ne méritent généralement pas le nom de philosophes, car ils demeurent à la surface des événements sans se donner la peine d’en vérifier le fond et la cause. L’aliénation, qui trouble la raison et la perception, les maintient dans l’apparent paradoxe de l’existence, et ils croient que l’époque dans laquelle ils vivent est unique, que le progrès est constant et linéaire. Mais l’histoire – qui est ce que nous connaissons du passé humain – est cyclique et elle répond à des moteurs occultes qui ne se dévoilent que devant ceux qui méditent profondément.

D’innombrables formes de cultures et de civilisations se sont succédé depuis des millénaires. Les changements sont plus apparents que réels et l’homme qui manœuvrait un quadrige romain n’est pas très différent de celui qui conduit aujourd’hui un train ou une automobile. La machine a changé, la mécanique du véhicule également, mais pas l’homme.

Prenons un exemple sur lequel nous disposons d’informations précises : pour ceux qui vivaient à l’époque de l’Empire romain, ce colosse socioculturel et économique ne pouvait pas s’effondrer. Il s’est pourtant effondré. Et à la Paix d’Auguste qui régissait le monde occidental – parce qu’elle avait épuisé son temps historique et qu’elle avait besoin d’un renouveau – succéda ce que nous appelons aujourd’hui la période du Haut Moyen Age.

Non seulement certaines parties de l’Empire retrouvèrent une dynamique propre, mais il fut assailli par des peuples marginaux qui se mirent en marche vers son propre cœur.

Au Ve, VIe et VIIe siècles, sont apparus des phénomènes migratoires chez des peuples qui, d’une certaine manière, avaient été immergés dans la grande forme mentale de l’Empire romain ou qui, effrayés par son pouvoir, s’en étaient tenus éloignés. L’Etat romain, la concertation de ces peuples en une unité de destin, a fait place à une multitude d’ethnies et de races.

C’est ainsi que sont apparus : le royaume wisigoth en Gaule (419-507), le royaume wisigoth en Espagne ou à Hispalis (507-711), le royaume ostrogoth en Italie (489-552), les Goths (340-375), le royaume vandale (435-534), le royaume lombard (à partir de 568), le royaume des Burgondes (443-453), les Huns d’Attila (434-453), le royaume des Francs (à partir de 486). Et… les Saxons, les Suèves, les Alains, les Anglo-saxons et de nombreux autres encore.

Simples noms pour les lecteurs d’aujourd’hui, ils furent alors de tangibles et terribles réalités. Des petits fiefs et des bandes résistèrent ou entreprirent de vagabonder sur les mers, recevant le nom générique de Vikings, sous lequel l’histoire les connaîtra par la suite. L’Empire romain d’Orient, christianisé par ce que l’on appellerait aujourd’hui la foi orthodoxe, résista, tout en connaissant de nombreuses vicissitudes, jusqu’à l’époque des croisades et reçut le coup final au milieu du XVe siècle, asséné par une faction de l’Empire islamique en pleine croissance.

Les ethnies, les tribus resurgirent alors, mues par différents moteurs : religieux, économiques, politiques et, surtout, démographiques… Car, à l’horloge de l’Histoire, l’heure fatale de la chute de l’Empire romain avait déjà sonné dans les plaines d’Asie alors même qu’y régnaient les premiers empereurs(1). Mais comme des boules de billard qui s’entrechoquent, celles qui ne disparurent pas dans les trous de la table arrivèrent environ trois ou quatre cents ans plus tard aux portes de Rome, de Ravenne et de Constantinople.

L’orgueilleuse capitale des Romains, merveille inoubliable qui abritait, à l’époque d’Antonin, un million deux cent mille êtres humains, et l’extraordinaire Alexandrie égyptienne, où ne vivaient pas moins d’un million d’habitants, se trouvèrent réduites à l’état de villages « primitifs » dont les ruines étaient utilisées comme carrières. Au VIIe siècle, Rome n’avait pas plus de trente mille habitants permanents. D’autres villes importantes d’Europe devinrent des villages aux rues sales et boueuses, où la peste faisait des ravages.

Les ethnies n’ont jamais cessé d’exister

Notre concept actuel de « nation » est, sauf en ce qui concerne les derniers siècles, très relative, et dans la majorité des cas, fausse.

Remontons à l’Antiquité. Jusqu’à quel point l’Egypte, Sumer, la Grèce et Rome elle-même furent-elles des nations ? Qu’en est-il des Chinois et des Incas ? Et l’Inde et la Perse ? En vérité, celle qui se rapprocha le plus de cette conception fut Rome, car son empire a donné une unité à l’Europe et au bassin méditerranéen, où, sans que disparaissent les langues, les coutumes et les monnaies locales, s’imposèrent une langue, des coutumes honorables et une monnaie officielle. Les autres communautés citées n’ont jamais dépassé leur territoire d’origine où coexistaient différentes langues et cultures.

Il est très important de prendre en compte la question des ethnies, noyaux presque familiaux qui conservent leur langue et leur mode de vie, leur conception religieuse ou, pour les moins mystiques, leurs us et coutumes. Même si dans le monde occidental – et de par son influence, en Orient et en Amérique – on les a oubliées à partir de la fin du Bas Moyen Age, elles se sont fortifiées peu à peu jusqu’à ce qu’au cours des XVIe-XXe siècles, le concept se transforme en axiome ; et aujourd’hui, il nous éclate dans les mains.

En vérité, si la notion d’ethnie a été étouffée, les ethnies se sont maintenues sous différentes formes : « ghettos », « reducciones »(2) et « colonies », telles des pustules d’un temps révolu.

Les conflits entre les pays puissants et les révolutions communistes, fascistes et national?socialistes, précédés par d’autres conflits en Amérique et en Asie, ont engendré les deux plus grandes guerres à échelle planétaire. (Les historiens ne se rendent pas compte, parfois, que la guerre déclenchée à l’époque de Napoléon fut aussi une guerre mondiale). La sophistication des armements utilisés, la science mise au service des techniques de guerre, ont violemment bouleversé les strates les plus profondes de la société humaine. Des abstractions inhumaines, des mensonges en chaîne ont généré de nouvelles violences. Certaines furent passées sous silence, comme la répression communiste, d’autres amplifiées comme celles du nazisme, d’autres encore furent mythifiées comme la guerre du Vietnam, dans laquelle sont morts moins de citoyens américains que dans les accidents de la route aux Etats-Unis au cours de la dernière décennie.

De toutes façons, ces guerres, petites ou grandes, n’ont rien résolu et la croissance démographique incontrôlée, liée à des pactes secrets de « décolonisation » de l’Afrique et de l’Asie, ont donné naissance au « Tiers Monde », dans lequel vit aujourd’hui, dans des conditions inhumaines, plus de la moitié de la population mondiale. Conditions que les sociologues ont appelées, faisant véritablement preuve d’humour noir, « des conditions propres aux pays en voie de développement ».

Nous sommes tous différents

Mais peu importe au Grand Pendule, gouverné par des forces correspondant à la vitalité cosmique, l’opinion des humains, et moins encore s’ils sont incapables de se gouverner, non seulement au niveau collectif mais aussi au niveau individuel.

Un nouveau Moyen Age avance inexorablement vers notre forme actuelle de civilisation et on peut déjà en voir les manifestations. Et bien sûr, les ethnies resurgissent et avec elles les sempiternelles formes de racisme, qui, comme tous les mots en « isme », traduisent le culte excessif d’une réalité objective.

Et cela pour ne pas oser reconnaître une réalité évidente : le fait que nous sommes tous différents, individuellement et collectivement. Le rêve d’un Monde-Un qui parlerait l’espéranto fut une simple utopie des années 20. Aujourd’hui, cela paraît ridicule.

Peut-être un croisé ou un homme de Soliman le Magnifique (les chefs, eux, ne le croient pas vraiment) a-t-il pensé que tout le monde pouvait devenir chrétien ou musulman… Mais celui qui le croit aujourd’hui, à la lecture des événements retransmis par la presse quotidienne, est un royal imbécile ou un fanatique en marge de notre actualité.

Les idées – mieux encore, les abstractions – pseudo-démocratiques ont contribué à forger ce genre d’illusion et aujourd’hui elles sont confrontées à la réalité, à savoir qu’il existe autant de « démocraties » qu’il y a de lieux où elles s’appliquent. Civils ou militaires, imams ou évêques, tous sont aujourd’hui « démocrates » sans pour autant cesser, en réalité, d’être ce qu’ils sont, chacun à sa façon, et selon la force qu’ils y mettent.

Avec ce nouveau Moyen Age arrive, logiquement, un nouveau racisme, car les frontières commencent à s’ébranler et les groupes ethniques refleurissent, avec leurs côtés positifs et négatifs, leurs conflits, leurs égocentrismes et leurs atavismes. Et je ne fais pas seulement référence à « l’apartheid » (qui existe en Afrique du Sud comme en Chine, en Israël et en Irak, où des couleurs de peau et des croyances opposent les hommes) mais à nous tous qui, d’une façon ou d’une autre, souffrons du syndrome et qui nous rassemblons en tribus de médecins, d’avocats, de musiciens, de militaires, d’hommes, de femmes, d’enfants et de personnes âgées. C’est, j’insiste, une lutte de tous contre tous. La plupart des systèmes qui nous gouvernent ont échoué, et la brutalité resurgit de tous côtés, comme cela fut le cas en Europe au Moyen Age.

Nous ne devons pas fermer les yeux : peu à peu vont revenir les nouveaux esclaves, les migrations et les inquisitions. Nous en sommes déjà les témoins.

On pourrait me rappeler que les esclaves existaient dans le Monde Classique ; mais je vous rappelle aussi que l’esclavage a disparu en plein XIXe siècle, non pour des raisons morales mais parce qu’il y avait des machines pour remplacer les esclaves. Toute autre affirmation n’est que pure littérature. Un homme ou une femme ne sont pas esclaves parce qu’ils ne votent pas, mais ils le sont quand ils perdent leur humanité pour devenir des choses qui se vendent, s’achètent ou s’offrent, et dont la vie est conditionnée par des modèles auxquels ils se soumettent contre toute raison et tout sentiment. Et si on creuse un peu, on s’aperçoit que l’esclavage n’a jamais cesser d’exister : pour le vérifier, il suffit de demander à un juif s’il peut se marier librement avec une chrétienne, ou si un membre d’une famille noble peut se marier, sans créer de problème, à une marchande de légumes ; si un musulman d’Iran peut volontairement cesser de l’être ou si un blanc peut devenir président élu d’une tribu noire et vice-versa.

L’intolérance se généralise

Dans le racisme à venir, tout est encore très trouble car il n’existe pas de véritables idéaux de civilisations. Et dans le désastre qui nous menace, se trouvent confondus des éléments millénaires avec des éléments actuels et même des éléments relevant du futur. Ce qui est clair, c’est que devant l’échec des systèmes, la moitié du monde mourant de faim, le retour du fanatisme pseudo-religieux, on cherche à tout prix des « boucs émissaires ».

Je crois que nous avons fait du monde un écheveau d’une incroyable confusion et que nous nous empoisonnons la vie inutilement. Nous devons apprendre à vivre et à laisser vivre. Dans notre petit « laboratoire » de l’Organisation Internationale Nouvelle Acropole, qui a des sièges dans cinquante pays, nous avons pu confier des postes de très haut niveau et de responsabilité à des personnes d’origine juive, chrétienne (des différentes sectes), musulmanes et shintoïstes ; leur peau – bien qu’en vérité je n’y ai jamais fait attention – est blanche, jaune ou sombre.

Quel est le secret de ce succès ?

Il est très simple. Nous avons mis l’Homme au-dessus de l’homme, c’est-à-dire la partie spirituelle et noble sur la partie matérielle et grossière. Il n’a pas été massifié. La valeur d’un homme, d’une femme est faite de ce qu’ils sont vraiment et ne dépend ni de la couleur de leur peau ni de l’endroit où le destin les a fait naître. Et ce lieu de naissance est très important, car un enfant qui, par exemple, naît en Espagne, sera mené sur les fonts baptismaux catholiques alors qu’il n’a que quelques jours, sans pouvoir choisir ni donner son avis ; si vingt ans plus tard, en faisant appel à sa raison et à sa culture, il préfère une autre religion, ou aucune, il sera apostat. Et c’est la même chose pour les autres religions. Pourquoi ? Parce que l’on ne respecte pas la liberté de l’individu, que l’on considère comme n’étant qu’un simple élément mécanique d’une « société de coutumes ». C’est, dans le fond, une forme de peur, un racisme spirituel.

Derrière tout racisme se cache une peur. Si un nouveau racisme nous menace, c’est que nous avons rendu un culte à la peur et à la faiblesse. Des millions d’enfants ne jouent plus avec leur corps, se donnant et recevant des coups et des caresses salutaires, mais demeurent statiques, hébétés face à un appareil de télévision, à regarder ce que font les autres. Nous sommes en train de construire une culture de voyeurs, de simples observateurs incapables de penser et de sentir par eux-mêmes.

Le racisme à venir s’alimentera de cette chair sans feu et de ces âmes sans Vie, car, ne l’oublions pas, le racisme est lié à la peur, c’est vivre à l’extérieur de soi-même, c’est être superficiel.

Si nous nous tournons vers l’intérieur de nous-même et si nous reconnaissons l’existence naturelle des sexes, des races, des ethnies et des opinions différentes, nous parviendrons à la véritable liberté ; et, là où existe une véritable liberté, le racisme n’a pas sa place, pas plus qu’aucune autre manière fanatique d’envisager l’existence.

(1) Les barbares dont le déferlement précipita le démantèlement de l’Empire romain étaient originaires d’Asie. Et les causes qui entraînèrent leur migration vers l’Ouest étaient déjà à l’œuvre lorsque fut fondé l’Empire.

 

(2) Les « reducciones » étaient les villages d’Indiens baptisés, créés par les missionnaires espagnols.

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Le nouvel esprit anthropologique et la lutte contre le racisme par Fernand Schwarz & Fernand Figares

Racisme, le refus de la différence par Jorge Livraga

Le Racisme, produit de la modernité par Fernand Schwarz

 

Exposés donnés lors du colloque 2007 « La philo contre le racisme »:

Le racisme, produit de la modernité

Fernand Schwarz

Coordinateur de Nouvelle Acropole pour l’Europe Occidentale

Directeur de Nouvelle Acropole France
site de présentation de Fernand Schwarz

 

Article paru sous le titre « Racisme et modernité » dans la revue Nouvelle Acropole (Belgique),

n° 27, mars 1985, pp. 16-19.

Dans l’Antiquité, le barbare – ou étranger – était susceptible d’être intégré à la société. Au Moyen Age, par suite de la volonté d’uniformisation des croyances, apparut l’intolérance religieuse. Au XVIIIe siècle, se développa l’idée de la supériorité des nations policées qui constitua l’alibi des guerres coloniales ultérieures. La civilisation européenne devint la référence en fonction de laquelle étaient classés les autres peuples, dits primitifs. Au XXe siècle, la volonté d’homogénéisation, source de dévitalisation, risque de conduire à une catastrophe planétaire, la diversité étant facteur de survie de l’espèce.

Le racisme peut s’exprimer et se vivre à plusieurs niveaux. Le fait de ne pas aimer une autre race ou une autre religion s’inscrit dans une conception éthique du racisme. Celle-ci est relativement récente. Elle apparaît à la Renaissance et va se développer surtout aux XVIIIe et XIXe siècles.

De tout temps, la non-acceptation de l’autre a existé ; on peut même parler à cet égard de constante du comportement humain, liée à l’égoïsme et à l’étroitesse d’esprit, qui peut même se manifester au sein d’une famille. C’est pourquoi toutes les morales du monde ont encouragé la tolérance, et une plus grande compréhension de l’autre.

La notion de séparativité, de ségrégation, existait dans les temps anciens, mais sous des formes très différentes de celles que nous connaissons. Cependant, même si un peuple ou un être humain était considéré comme différent, jamais cette notion n’avait été érigée en idéologie de groupe.

Ainsi, pour les Romains, il y avait d’une part les « civilisés » et d’autre part les « barbares », c’est-à-dire tous les autres. Mais cette ségrégation n’était ni ethnique ni religieuse : il s’agissait seulement de savoir si les individus ou les peuples en question étaient ou non intégrés à la civilisation. En ce sens, le barbare, c’est tout simplement l’étranger. Mais il n’y a dans ce terme aucun jugement de valeur. En outre, le barbare peut être intégré, assimilé et devenir de plein droit citoyen romain. C’est à la chute de l’Empire romain que l’étranger est devenu « méchant » car, au Ve siècle, le « barbare » envahit l’Empire et le submerge. Et c’est à ce moment-là qu’au terme de « barbare » s’adjoint la notion de « destructeur » qui n’existait pas à l’origine.

Dans une société cohérente, les différences sont considérées comme une garantie de dynamisme, d’originalité et d’harmonie. Ainsi, pas moins de neuf ethnies (Nubiens, Sémites, blancs, noirs, métis, etc.) étaient regroupées dans la société égyptienne et l’important était d’être Egyptien. La différence n’était perçue qu’entre ceux qui étaient Egyptiens et ceux qui ne l’étaient pas. Les principes juridiques qui régissaient le pays en faisaient une société multiraciale. Et cette société a été, à ce niveau, une réussite.

Rome a eu des généraux africains, noirs. L’important était d’être romain et non d’avoir telle ou telle couleur de peau. L’Empire romain a fait naître la notion de « citoyen du monde ». Après sa chute, où est-elle passée, cette grande idée d’un monde où toutes les races et toutes les religions pourraient circuler et s’exprimer librement ?

L’homme a toujours été conscient des différences : elles font partie de son existence quotidienne. Mais les différences sont-elles négatives ou bien sont-elles au contraire un critère de variété, donc enrichissantes ?

Avec l’entrée dans le Moyen Age, s’organise une uniformisation de la foi et du système politique. C’est alors qu’apparaît un nouveau type de différence lié au fait religieux. En voulant homogénéiser le monde, on a fait apparaître de nouvelles différences. Celles-ci vont engendrer un réflexe de défense. Et de cette vision trop rétrécie va naître l’incapacité de penser que l’autre aussi peut avoir raison.

L’intolérance, qu’elle soit religieuse ou ethnique, connaîtra un avenir florissant et s’épanouira au XVIIIe siècle lorsque toutes les techniques de classement scientifique auront été développées. Après les minéraux, les végétaux, les animaux, l’homme aussi va entrer dans l’inventaire. L’expansion de la biologie contribuera au développement du racisme basé sur les différences physiques. Le fait de penser que les différences de l’autre sont congénitales les rend irrémédiables et l’empêche à tout jamais d’évoluer. C’est ainsi que l’Occident du XVIIIe siècle pense qu’il faut mettre les peuples « sauvages » dans des réserves ou bien les exterminer.

L’Encyclopédie dit à l’article « sauvage » : « Peuples barbares qui vivent sans lois, sans police, sans religion et qui n’ont point d’habitation fixe. » Elle explique par l’étymologie l’usage du mot, dérivé du latin silvaticus parce que les sauvages habitent ordinairement dans les forêts, et donne en exemple l’Amérique peuplée encore en grande partie de nations sauvages. Ni roi, ni foi, ni loi, et sans feu ni lieu : à première vue, une cascade de négations connote l’état sauvage, c’est-à-dire l’état naturel de la société.

En effet, l’anthropologie du siècle des Lumières est particulièrement significative car elle cherche à rendre compte de l’existence, récemment découverte, des nations sauvages, pour mieux l’opposer à celle du monde européen civilisé. Ce qui intéresse les philosophes, c’est de découvrir le sens de l’histoire humaine rapportée au devenir des nations européennes. Ce faisant, « ils confondent les apparences raciales et les productions sociologiques et psychologiques des cultures humaines » (C. Lévy-Strauss, « Race et histoire ») et cherchent à renvoyer les hommes sauvages parmi les ancêtres historiques de l’homme moderne. Cet ordre historique créait du même coup l’ordre des valeurs.

Dès 1739, Buffon, dans son « Histoire naturelle », marquait très nettement la séparation entre l’homme et l’animal. Cependant, il cherchait en même temps à expliquer les causes des variations dans l’espèce humaine. Les critères que reconnaissait Buffon sont la couleur de la peau, la forme et la taille, enfin ce qu’il nomme le naturel. Si les trois premiers critères sont d’emblée corporels et visibles, le naturel renvoie à l’interprétation des comportements culturels. Mais, pour expliquer les variations tout en posant l’unité du phénomène humain, il faut croire qu’à partir d’un modèle originel, les hommes se sont peu à peu distingués de lui pour dégénérer au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient de la zone tempérée. Car, écrit Buffon, « c’est sous ce climat qu’on doit prendre le modèle ou l’unité à laquelle il faut rapporter toutes les autres nuances de couleur et de beauté. » Ce sont donc des causes accidentelles qui font varier les nations qui peuplent la Terre, creusant ainsi l’écart entre l’Europe civilisée et le monde sauvage. Celle-là, par le progrès qu’elle manifeste, se doit de convaincre les sauvages de réintégrer la nature de l’homme.

Ainsi, l’Europe se voit offrir, en raison de la dégénérescence des sauvages, la mission de les ramener sous la loi supérieure. Ce devait être l’alibi des conquêtes coloniales.

Si la démarche de Voltaire est autre, ses conclusions rejoignent celles de Buffon en ce qu’il place l’Europe au sommet de la civilisation. Il voit entre les peuples de la terre de telles différences qu’il croit les hommes sauvages d’une autre espèce. C’est en fonction de ces différents degrés de génie qu’on voit si rarement changer que Voltaire proclame la supériorité des nations policées et la logique de leur domination partout dans le monde. Et s’il proteste contre les atrocités des conquérants, c’est qu’il voudrait voir triompher la civilisation non par la violence, mais seulement par le droit et la raison. L’homme sauvage est toujours opposé à l’homme civilisé et le plus souvent, réduit à la qualité de primitif. L’histoire ainsi orientée renvoie les peuples sauvages dans l’enfance de l’humanité, et désigne l’Europe comme missionnaire de la civilisation après l’avoir été de la religion. C’est au nom de la supériorité du civilisé qu’il lui revient d’imposer le progrès et son ordre.

Apparences et réalités du racisme occidental au XXe siècle

Derrière des apparences de grande ouverture d’esprit, se cachent parfois des compromis ; la différence est apparemment reconnue et acceptée comme normale ; mais que surgisse un problème concret, un contact réel, et l’on se rend compte alors qu’il s’agissait en fait d’un sentiment assoupi, momentanément dompté : on tolérait, c’est-à-dire on supportait, mais on n’acceptait pas. Or, il s’agit avant tout d’assumer la différence et non pas seulement de la tolérer passagèrement.

Le racisme naît de la difficulté que chacun éprouve à accepter l’autre, refusant, volontairement ou involontairement, l’ouverture à l’autre. L’homme se heurte à ses propres habitudes : routine, facilité, paresse de remettre ses idées en question le limitent terriblement. Ce carcan de préjugés dont il n’est pas conscient la plupart du temps, est une entrave à l’ouverture à l’autre. Or les hommes respirent le même air, partagent la même planète, ont les mêmes origines, une même mère (la Nature). Leurs structures physiques, psychologiques et spirituelles sont communes. Ce sont nos expériences qui nous ont transformés, nos chemins qui nous ont changés. Il est vrai que chaque homme est différent par sa démarche extérieure et intime. Cela s’exprime aussi bien dans sa psychologie, sa sensibilité, ses goûts, ses buts. Il n’en reste pas moins vrai que le commun dénominateur est l’Humanité. Cette racine commune crée le lien mais le dynamisme même de la vie appelle à l’expression des différences. Attention au piège de l’homogénéisation car elle entraîne disparition, destruction. Claude Lévy-Strauss n’insiste-t-il pas sur le fait que toute tendance à l’homogénéisation entraîne inéluctablement l’anéantissement ?

La diversité des expériences permet de développer des qualités de survie inégalables. Tous les groupes humains ont apporté leur part à l’expérience humaine. Développer une culture unique menerait à une catastrophe planétaire. C’est pourquoi certains organismes internationaux essaient de promouvoir la différence et non la ségrégation.

Tous les systèmes qui tendent à homogénéiser une société lui font perdre son tonus. C’est le cas des sociétés collectivistes qui ne permettent pas l’épanouissement du potentiel humain ; elles privent des millions d’êtres de la possibilité de garder la mémoire vivante des multiples possibilités. Elles sont déracinantes et, par elles, la planète devient une table rase.

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Le nouvel esprit anthropologique et la lutte contre le racisme par Fernand Schwarz & Fernand Figares

Le Racisme à venir par Jorge Livraga

Racisme, le refus de la différence par Jorge Livraga

Exposés donnés lors du colloque 2007 « La philo contre le racisme »:

Le nouvel esprit anthropologique et la lutte contre le racisme


Fernand Schwarz

Coordinateur de Nouvelle Acropole pour l’Europe Occidentale

Directeur de Nouvelle Acropole France
site de présentation de Fernand Schwarz

et Fernand Figares

Directeur de Nouvelle Acropole Belgique

 

Article paru sous le titre « L’apport de la nouvelle anthropologie dans la lutte contre le racisme » dans la revue Nouvelle Acropole (Belgique), n° 51, juin 1990, pp.7-9.

Si l’Occident a engendré le dualisme manichéen, responsable de l’intolérance qui exclut et condamne ; s’il a consommé le divorce entre pensée et action qui fait que tant d’entre nous, intellectuellement ouverts, se révèlent incapables, à l’épreuve des faits, de supporter l’autre dans ses différences, c’est qu’il a privé l’homme de la dimension qui le relie au « cosmique ». Or, l’anthropologie a mis en évidence la permanence et le caractère constitutif de celle-ci chez l’être humain. Lui redonner droit de cité, c’est s’autoriser un fonctionnement global et harmonieux, et devenir capable de l’intégration qui accueille et concilie.

La redécouverte du sacré anéantit la conception mécaniciste de l’homme et de la science.

 Vers le milieu du XIXe siècle, la science positiviste proclamait que la nature était dépourvue de finalité, que la vie était produite par génération spontanée et que l’âme et l’esprit étaient des fonctions organiques.

La théorie de l’évolution selon Darwin constituait la voie royale pour une conception mécaniciste de la nature et de l’homme. Elle faisait tomber en désuétude les explications théologiques, et permettait de comprendre aisément l’origine des organismes en ne se référant qu’à des causes naturelles. Au XIXe siècle, on en arriva à considérer toutes les religions connues, y compris le christianisme, non seulement comme dénuées de fondement, mais aussi comme dangereuses sur le plan culturel, parce qu’elles entravaient généralement le progrès de la science. L’opinion la plus répandue dans « l’intelligentsia » de l’époque était que les sciences prouvaient que l’homme n’était fait que de matière. Pour les savants de la seconde moitié du XIXème siècle, cela devait permettre non seulement de résoudre tous les problèmes mais aussi d’envisager l’avenir de l’humanité comme un progrès continu, sans histoire. Grâce à la science, l’homme ne cesserait d’améliorer sa connaissance et sa maîtrise de la matière. Il n’y aurait pas de fin à cette perfectibilité. Dans cette confiance enthousiaste en la science, en l’éducation scientifique et en l’industrie, on peut reconnaître une sorte d’optimisme religieux, messianique : l’homme, enfin, serait libre, heureux, riche et puissant.

La thèse rationaliste classique qui privilégie les causes économiques et techniques comme source du progrès est largement remise en cause. Il faut restituer le sacré à la base de l’évolution humaine.

Les recherches de René Guénon, Mircéa Eliade, Gilbert Durand, Jorge Livraga, etc., sont décisives pour comprendre le rôle de la fonction religieuse chez l’homme. Le préhistorien Jacques Cauvin considère l’homme du Paléolithique comme résultant de l’émergence du sentiment religieux de la mort. L’homme du Néolithique, lui, paraît être le résultat de la prise de conscience des dieux.

La stratigraphie de Mureybet (Asie Mineure, vers 8.000 av. J.-C.) prouve par exemple que les habitants du village (fondé avant l’apparition de l’agriculture) satisfaisaient à tous leurs besoins grâce à la chasse et à la cueillette, et que c’est en pleine période d’abondance et non pas de pénurie qu’ils se sont mis à se « préoccuper » de l’auroch (grand taureau sauvage) deux ou trois siècles avant de commencer à en faire une source de nourriture importante. Le culte aux cornes de l’auroch précéda l’exploitation matérielle de l’animal. Les mêmes recherches montrent qu’ensuite les hommes se sont mis à sculpter ou à modeler des statuettes féminines aux flancs généreux. Ils se sont donc préoccupés de l’idée de la fécondité, environ trois cents ans avant de se mettre à cultiver la terre ; alors que théoriquement ils n’auraient pas dû en ressentir le besoin, puisqu’ils étaient en pleine période d’abondance. Ce sont donc les communautés qui changent de façon interne, indépendamment parfois des réalités extérieures, pour ensuite se mettre à modifier leur action dans le monde.

La révolution néolithique n’a pas pour origine une réalité économique ou sociale, mais plutôt une mutation interne de la société humaine, davantage consciente de la fragilité de l’équilibre cosmique.

La redécouverte du sacré comme élément constitutif de la structure de la conscience, et non comme un stade dans l’histoire de cette conscience, condamne la vision mécaniste et linéaire de l’histoire. En effet, Auguste Comte et ses successeurs crurent voir dans les trois niveaux de connaissance de l’homme : mythologie / théologie, métaphysique / philosophie, rationalisme / positivisme, trois états successifs par lesquels l’humanité serait passée, en suivant un processus linéaire.

Dans la pensée traditionnelle, pré-grecque et archaïque, il y a trois directions de recherche du sens : Dieu, Homme, Nature. Chacune de ces directions a ses structures et méthodes propres. Vouloir prouver l’existence du divin par la raison est typique du dualisme réductionniste de la pensée occidentale. Il convient de rétablir la simultanéité des trois catégories : mythique, philosophique et scientifique mais de façon harmonieuse.

L’unité de l’espèce anéantit les préjugés racistes. Depuis les travaux de Wilhems Schmidt, de nombreux ethnologues ont authentifié l’existence d’une croyance en une divinité primordiale chez les peuples les plus archaïques. « L’unité de l’espèce humaine est certes acceptée de facto par d’autres disciplines comme, par exemple, la linguistique, l’anthropologie et la sociologie ; mais l’historien des religions a le privilège de saisir cette unité à des niveaux plus élevés – ou plus profonds – et une telle expérience est susceptible de l’enrichir et de le changer. Aujourd’hui, l’histoire devient pour la première fois véritablement universelle et la culture se planétarise. L’histoire de l’homme, du Paléolithique à nos jours, est appelée à se situer au centre de l’éducation humaniste, quelles qu’en soient les interprétations locales ou nationales. Dans cet effort vers une planétarisation de la culture, l’histoire des religions peut jouer un rôle essentiel ; elle peut contribuer à l’élaboration d’une culture de type universel. »

Passer de la théorie à l’action exige que l’on tienne compte du réel.

Le racisme est un problème d’incompétence dans l’approche de l’autre.

Or, la réalité est spirituelle, psychique et matérielle. Mépriser le réel, en appliquant froidement les théories, entraîne horreurs, échecs, goulags. Entre le cerveau et les mains se trouve le cœur. Il replace chaque acte dans une dimension qui englobe non seulement ce que l’on voit, mais également ce qui, bien qu’on ne le voie pas, existe. Car le réel contient une imprégnation spirituelle des choses. Le réel est vivant. Il ne peut être infléchi dans un sens ou dans un autre par des statistiques, des courbes, des plans, si ceux-ci l’ignorent totalement. C’est pourquoi les plans doivent venir de ceux qui sont concernés, car ils sont ceux qui vont les mettre en pratique.

Nous sommes malheureusement trop souvent victimes de notre mentalité linéaire très peu tolérante et de notre volonté d’aligner sur la nôtre la réalité des autres qui n’est pourtant pas de moindre valeur.

Comprendre l’autre, c’est développer une sensibilité plus réaliste. Le racisme est un problème d’incompétence dans l’approche de l’autre.

Lorsqu’il y a un échange affectif naturel et sain, la différence est intégrée comme normale. Pour s’en convaincre, observons simplement une cour de récréation : des enfants de toutes couleurs, confessions et origines sociales s’y retrouvent et les seuls heurts qui se produisent sont dus à des incompatibilités de caractères. L’enfant, dont le monde de rêves est illimité, peut assimiler un grand nombre de différences. A cet égard, la réaction des parents est fondamentale. S’ils refusent de répondre à la question de l’enfant sur ce qu’est une différence, ce dernier croira qu’il s’agit de quelque chose de grave dont on ne peut parler. En ce sens, les futurs racistes, c’est nous, adultes, qui les engendrons.

Le plus important est la coexistence. Les enfants la vivent naturellement avec leur sensibilité. L’adulte a plus de problèmes : il est surinformé quant aux origines communes des êtres humains, mais le résultat de ces connaissances est nul car elles ne sont pas vécues.

Actuellement, la plupart des messages sont transmis par l’audiovisuel : par des yeux et des oreilles anonymes. Les campagnes d’information sont faites par des robots. Aucune corde sensible n’est touchée. Tout reste à l’état de slogans : « Un blanc vaut un noir ». Intellectuellement, c’est facile. Mais ce qu’il faut vivre, c’est la réalité. Et lorsque, face à un noir, un homme se répète le slogan, si son cœur n’a jamais été touché, il sera lui-même victime de la force de ses préjugés et de ses habitudes, contre lesquels une information déshumanisée ne peut rien. Un véritable changement ne sera possible que lorsqu’il aura été effectué au niveau individuel, au niveau du cœur.

Depuis trente-deux ans et dans quarante-six pays au monde (au moment de la rédaction de l’article), Nouvelle Acropole essaie de créer une expérience de coexistence pacifique et de désarmement idéologique car celui-ci est le premier qu’il faille réaliser. Et il passe d’abord par une transformation individuelle réaliste et patiente, tant il est vrai que l’on ne peut exiger des autres ce que l’on n’est pas capable de vivre soi-même.

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Racisme: le refus de la différence par Jorge Livraga

Le Racisme à venir par Jorge Livraga

Le Racisme, produit de la modernité par Fernand Schwarz

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