Nouvel esprit anthropologique


Fernand Schwarz

Coordinateur de Nouvelle Acropole pour l’Europe Occidentale

Directeur de Nouvelle Acropole France
site de présentation de Fernand Schwarz

et Fernand Figares

Directeur de Nouvelle Acropole Belgique

 

Article paru sous le titre « L’apport de la nouvelle anthropologie dans la lutte contre le racisme » dans la revue Nouvelle Acropole (Belgique), n° 51, juin 1990, pp.7-9.

Si l’Occident a engendré le dualisme manichéen, responsable de l’intolérance qui exclut et condamne ; s’il a consommé le divorce entre pensée et action qui fait que tant d’entre nous, intellectuellement ouverts, se révèlent incapables, à l’épreuve des faits, de supporter l’autre dans ses différences, c’est qu’il a privé l’homme de la dimension qui le relie au « cosmique ». Or, l’anthropologie a mis en évidence la permanence et le caractère constitutif de celle-ci chez l’être humain. Lui redonner droit de cité, c’est s’autoriser un fonctionnement global et harmonieux, et devenir capable de l’intégration qui accueille et concilie.

La redécouverte du sacré anéantit la conception mécaniciste de l’homme et de la science.

Vers le milieu du XIXe siècle, la science positiviste proclamait que la nature était dépourvue de finalité, que la vie était produite par génération spontanée et que l’âme et l’esprit étaient des fonctions organiques.

La théorie de l’évolution selon Darwin constituait la voie royale pour une conception mécaniciste de la nature et de l’homme. Elle faisait tomber en désuétude les explications théologiques, et permettait de comprendre aisément l’origine des organismes en ne se référant qu’à des causes naturelles. Au XIXe siècle, on en arriva à considérer toutes les religions connues, y compris le christianisme, non seulement comme dénuées de fondement, mais aussi comme dangereuses sur le plan culturel, parce qu’elles entravaient généralement le progrès de la science. L’opinion la plus répandue dans « l’intelligentsia » de l’époque était que les sciences prouvaient que l’homme n’était fait que de matière. Pour les savants de la seconde moitié du XIXème siècle, cela devait permettre non seulement de résoudre tous les problèmes mais aussi d’envisager l’avenir de l’humanité comme un progrès continu, sans histoire. Grâce à la science, l’homme ne cesserait d’améliorer sa connaissance et sa maîtrise de la matière. Il n’y aurait pas de fin à cette perfectibilité. Dans cette confiance enthousiaste en la science, en l’éducation scientifique et en l’industrie, on peut reconnaître une sorte d’optimisme religieux, messianique : l’homme, enfin, serait libre, heureux, riche et puissant.

La thèse rationaliste classique qui privilégie les causes économiques et techniques comme source du progrès est largement remise en cause. Il faut restituer le sacré à la base de l’évolution humaine.

Les recherches de René Guénon, Mircéa Eliade, Gilbert Durand, Jorge Livraga, etc., sont décisives pour comprendre le rôle de la fonction religieuse chez l’homme. Le préhistorien Jacques Cauvin considère l’homme du Paléolithique comme résultant de l’émergence du sentiment religieux de la mort. L’homme du Néolithique, lui, paraît être le résultat de la prise de conscience des dieux.

La stratigraphie de Mureybet (Asie Mineure, vers 8.000 av. J.-C.) prouve par exemple que les habitants du village (fondé avant l’apparition de l’agriculture) satisfaisaient à tous leurs besoins grâce à la chasse et à la cueillette, et que c’est en pleine période d’abondance et non pas de pénurie qu’ils se sont mis à se « préoccuper » de l’auroch (grand taureau sauvage) deux ou trois siècles avant de commencer à en faire une source de nourriture importante. Le culte aux cornes de l’auroch précéda l’exploitation matérielle de l’animal. Les mêmes recherches montrent qu’ensuite les hommes se sont mis à sculpter ou à modeler des statuettes féminines aux flancs généreux. Ils se sont donc préoccupés de l’idée de la fécondité, environ trois cents ans avant de se mettre à cultiver la terre ; alors que théoriquement ils n’auraient pas dû en ressentir le besoin, puisqu’ils étaient en pleine période d’abondance. Ce sont donc les communautés qui changent de façon interne, indépendamment parfois des réalités extérieures, pour ensuite se mettre à modifier leur action dans le monde.

La révolution néolithique n’a pas pour origine une réalité économique ou sociale, mais plutôt une mutation interne de la société humaine, davantage consciente de la fragilité de l’équilibre cosmique.

La redécouverte du sacré comme élément constitutif de la structure de la conscience, et non comme un stade dans l’histoire de cette conscience, condamne la vision mécaniste et linéaire de l’histoire. En effet, Auguste Comte et ses successeurs crurent voir dans les trois niveaux de connaissance de l’homme : mythologie / théologie, métaphysique / philosophie, rationalisme / positivisme, trois états successifs par lesquels l’humanité serait passée, en suivant un processus linéaire.

Dans la pensée traditionnelle, pré-grecque et archaïque, il y a trois directions de recherche du sens : Dieu, Homme, Nature. Chacune de ces directions a ses structures et méthodes propres. Vouloir prouver l’existence du divin par la raison est typique du dualisme réductionniste de la pensée occidentale. Il convient de rétablir la simultanéité des trois catégories : mythique, philosophique et scientifique mais de façon harmonieuse.

L’unité de l’espèce anéantit les préjugés racistes. Depuis les travaux de Wilhems Schmidt, de nombreux ethnologues ont authentifié l’existence d’une croyance en une divinité primordiale chez les peuples les plus archaïques. « L’unité de l’espèce humaine est certes acceptée de facto par d’autres disciplines comme, par exemple, la linguistique, l’anthropologie et la sociologie ; mais l’historien des religions a le privilège de saisir cette unité à des niveaux plus élevés – ou plus profonds – et une telle expérience est susceptible de l’enrichir et de le changer. Aujourd’hui, l’histoire devient pour la première fois véritablement universelle et la culture se planétarise. L’histoire de l’homme, du Paléolithique à nos jours, est appelée à se situer au centre de l’éducation humaniste, quelles qu’en soient les interprétations locales ou nationales. Dans cet effort vers une planétarisation de la culture, l’histoire des religions peut jouer un rôle essentiel ; elle peut contribuer à l’élaboration d’une culture de type universel. »

Passer de la théorie à l’action exige que l’on tienne compte du réel.

Le racisme est un problème d’incompétence dans l’approche de l’autre.

Or, la réalité est spirituelle, psychique et matérielle. Mépriser le réel, en appliquant froidement les théories, entraîne horreurs, échecs, goulags. Entre le cerveau et les mains se trouve le cœur. Il replace chaque acte dans une dimension qui englobe non seulement ce que l’on voit, mais également ce qui, bien qu’on ne le voie pas, existe. Car le réel contient une imprégnation spirituelle des choses. Le réel est vivant. Il ne peut être infléchi dans un sens ou dans un autre par des statistiques, des courbes, des plans, si ceux-ci l’ignorent totalement. C’est pourquoi les plans doivent venir de ceux qui sont concernés, car ils sont ceux qui vont les mettre en pratique.

Nous sommes malheureusement trop souvent victimes de notre mentalité linéaire très peu tolérante et de notre volonté d’aligner sur la nôtre la réalité des autres qui n’est pourtant pas de moindre valeur.

Comprendre l’autre, c’est développer une sensibilité plus réaliste. Le racisme est un problème d’incompétence dans l’approche de l’autre.

Lorsqu’il y a un échange affectif naturel et sain, la différence est intégrée comme normale. Pour s’en convaincre, observons simplement une cour de récréation : des enfants de toutes couleurs, confessions et origines sociales s’y retrouvent et les seuls heurts qui se produisent sont dus à des incompatibilités de caractères. L’enfant, dont le monde de rêves est illimité, peut assimiler un grand nombre de différences. A cet égard, la réaction des parents est fondamentale. S’ils refusent de répondre à la question de l’enfant sur ce qu’est une différence, ce dernier croira qu’il s’agit de quelque chose de grave dont on ne peut parler. En ce sens, les futurs racistes, c’est nous, adultes, qui les engendrons.

Le plus important est la coexistence. Les enfants la vivent naturellement avec leur sensibilité. L’adulte a plus de problèmes : il est surinformé quant aux origines communes des êtres humains, mais le résultat de ces connaissances est nul car elles ne sont pas vécues.

Actuellement, la plupart des messages sont transmis par l’audiovisuel : par des yeux et des oreilles anonymes. Les campagnes d’information sont faites par des robots. Aucune corde sensible n’est touchée. Tout reste à l’état de slogans : « Un blanc vaut un noir ». Intellectuellement, c’est facile. Mais ce qu’il faut vivre, c’est la réalité. Et lorsque, face à un noir, un homme se répète le slogan, si son cœur n’a jamais été touché, il sera lui-même victime de la force de ses préjugés et de ses habitudes, contre lesquels une information déshumanisée ne peut rien. Un véritable changement ne sera possible que lorsqu’il aura été effectué au niveau individuel, au niveau du cœur.

Depuis trente-deux ans et dans quarante-six pays au monde (au moment de la rédaction de l’article), Nouvelle Acropole essaie de créer une expérience de coexistence pacifique et de désarmement idéologique car celui-ci est le premier qu’il faille réaliser. Et il passe d’abord par une transformation individuelle réaliste et patiente, tant il est vrai que l’on ne peut exiger des autres ce que l’on n’est pas capable de vivre soi-même.

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